De l’utilité de perdre son temps

L’été est une saison propice au dépaysement, à la détente et aux songeries. C’est ainsi qu’alors que je faisais des longueurs à la piscine municipale de mon quartier, soudainement sortant des eaux, un jeune homme agacé m’a assez vertement déclaré: «Lorsque l’on nage aussi lentement on n’occupe pas les lignes des nageurs rapides!» Ainsi priée de quitter «sa» ligne (comprise dans le prix de son abonnement de saison sans doute), je fus sommée de m’écarter de son champ d’action sportif.

Je pratique le crawl depuis 30 ans et cela m’aide à me détendre tout en me permettant de réfléchir à mes projets. Il est vrai qu’aujourd’hui, j’attache plus d’importance à la souplesse du geste qu’au chrono. Vous avez sans doute remarqué que les bords de piscines fourmillent d’appareils en tout genre censés vous permettre d’aller plus vite tout en musclant telle ou telle partie de votre corps. Allez nager avec légèreté, petit sac en toile sur l’épaule contenant un simple maillot et un linge de bain, on vous prendra à coup sûr pour un rigolo. Pour paraître dans le vent, il vous faut défiler au bord du bassin muni d’un sac de sport rectangulaire contenant tout un équipement high-tech et suivre ostensiblement un programme d’entraînement bien minuté et précis.

Il est bien entendu que toute ressemblance avec ces jeunes cadres dynamiques et fringants, oreillettes connectées, écran en permanence à portée de main, gros dossier sous le bras, serait purement fortuite…

En sortant du bassin, je me suis sentie comme ces quinquagénaires – dont je fais partie du reste – qui, dans les entreprises, se font mettre à la touche par un jeune chef plein d’ambition qui pense avoir tout compris. Peu importe alors l’expérience acquise et le savoir-faire accumulé, seule la performance compte et ceux qui ne suivent pas n’ont qu’à céder la place, CQFD! Rêves et flâneries sont devenus indésirables au bureau comme dans les bassins.

Paradoxalement à cet état d’esprit, toujours plus de personnes – de plus en plus jeunes – cherchent à redonner un sens à leur vie, songeant même à quitter leur job pour se tourner vers l’indépendance. En particulier les victimes d’un burnout se sentent perdues et tout simplement incapables de réintégrer leur ancienne place. À l’ère du tout technologique à haute performance, les quinquas ne sont pas, semble-t-il, les seuls à se sentir largués.

À force de fixer des objectifs quantifiés de performance, au travail comme dans les loisirs, de plus en plus de gens sont épuisés et en perte de sens. Comment leur ré-ouvrir un nouvel espace de liberté? Pas besoin de remède technologique sophistiqué: autorisons-nous à prendre le temps quitte à en perdre, à laisser flâner notre imagination, pour oser la force du rêve qui peut faire des miracles.

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