Le leadership obscur

Des enluminures variées, ornant toute forme de leadership, ne cessent de fleurir, d’universités en MBA, de thèses en théories. Partout désormais, on l’entend qualifié d’organisationnel, de transformationnel, d’inspirationnel (à tout prendre, c’est mieux qu’expirationnel), voire de réflexif. Cette surenchère sémantique ne cache pas vraiment une certaine vacuité conceptuelle.

L’usure aussi guette le mot et le concept de bienveillance, galvaudés à force de lui être associés sans discernement, dénaturés d’être présentés comme la panacée pour un management renouvelé. Ces placebos ont démontré leurs limites, les comportements toxiques perdurant et progressant même, comme en atteste hélas l’augmentation continue de la souffrance psychique au travail.

Qu’est-ce donc que la toxicité en entreprise et d’où vient-elle? Comment la reconnaître? Peut se définir comme toxique tout comportement qui contraint l’autre à se mettre en position défensive, afin de se protéger, de protéger son travail et ses intérêts. Dès que menacés, tous, de façon inconsciente mais réelle, nous concentrons notre énergie et nos ressources pour activer notre intelligence protectrice. Chaque collaboration, ainsi obérée, risque alors de s’étioler, puis finalement de disparaître dans un feu d’artifice de stress, de sabotages, de conflits, d’absentéisme et de démissions.

Le salarié toxique, quelles que soient ses responsabilités hiérarchiques et ses éventuelles bonnes intentions, se reconnaît invariablement à la peur, l’angoisse et les craintes qu’autour de lui il inspire et diffuse. Champion du «tu as tort parce que j’ai raison», il s’autorise souverainement des agressions personnelles et des jugements catégoriques.

Ancrées dans sa rationnelle supériorité, ses impatiences lui sont légitimes, quelles que soient les émotions négatives dont il devient contagieux. Auto-investi d’une mission supérieure, il manie pression, objectifs, reportings, tests, mensonges et KPI avec l’aisance d’un écorcheur. Pitoyablement égocentré, il ne regarde l’autre que pour en profiter et le considère seulement comme une fongible variable d’ajustement économique, premièrement subordonnée au profit et à sa volonté. Toujours, les résultats positifs sont les siens et chaque erreur est d’un autre. Et s’il fait souffrir quelqu’un, c’est bien involontairement mais invariablement pour son bien…

Croyez-vous vraiment que j’exagère? Dans les faits, l’employé toxique est la première victime de ses intimes et nauséabondes industries inconscientes: c’est parce qu’il a peur, tout au fond de lui, qu’il crée de la peur, tout autour de lui. Il a peur d’échouer ou de déchoir. Il a peur des autres et d’être jugé par eux. Il a peur de n’être pas aimé, en lui-même, à cause de ses limites, de ses lacunes et de ses faiblesses. Il a peur de lui-même finalement. Et donc se méprise violemment, dans le secret de son cœur pétrifié.

Outre cette peur inconsciente, envahissante et intrusive, une délétère confusion nourrit encore sa toxicité: la subordination contractuelle d’un collaborateur, considérée comme une soumission, une obéissance servile, permettant toutes les exigences, voire parfois certaines maltraitances.

Alexandre Dumas fils décrit avec génie la racine de tout leadership obscur: «L’homme qui a honte de lui-même est impitoyable avec les autres». Celui donc qui se laisse aller à être toxique a d’abord besoin de retrouver une saine et sereine estime de lui-même, avant de pouvoir renouer de positives relations. Trop souvent appelé à soigner les grands brûlés du travail salarié, nous entreprenons aussi leurs incendiaires, pour les aider.

Au rythme d’ateliers conçus pour les ramener du bon côté de la Force, leurs croyances toxiques, toutes toujours en forme de déni du réel, disparaissent peu à peu. Une simple vérité pourtant, contrefeu à toute toxicité laborieuse, s’impose dans le monde réel de la performance économique durable: chaque vrai leader, évitant de se détruire lui-même et de blesser les autres, est premièrement au service de ceux qui le suivent, afin de les faire croître et grandir.

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