La vraie valeur de nos Valeurs: de la raisonance à la résonance

Me pardonnez-vous ce néologisme? Propre dit-on à notre nature humaine, érigée en déesse par la révolution française, métaphysiquement critiquée par Kant dans sa version pure, la raison, sous la forme abâtardie d’une raisonance permanente, nous envahit, sclérosant notre nature humaine, créant d’insolubles conflits, ratatinant chaque opportunité de transcendance ou de création.

Cette raisonance universelle a investi l’entreprise: le chiffre, le KPI et le dividende, déifiés à leur tour, sont les parangons de la réussite, quitte à laisser l’affairisme à court terme le plus destructeur agioter avec nos valeurs les plus humanisantes.

Nombre d’entreprises affichent d’exemplaires valeurs, en un vertueux message destiné à leurs partenaires comme à leurs employés. Savez-vous quelles valeurs inspiraient Enron?La Communication, le Respect, l’Intégrité, l’Excellence. J’en ai des larmes aux yeux.

Connaissez-vous le Credo de Johnson&Johnson? Il prévoit que «Nous sommes responsables envers nos collaborateurs, envers chaque femme et chaque homme qui travaille dans nos sociétés dans le monde entier (…). Nous devons les mettre en confiance par rapport à la sécurité de leur emploi.» Et c’est ainsi qu’il y a peu, parce que l’Ebitda d’une filiale de ce géant mondial avait diminué de 47% en un seul exercice, 8’000 salariés furent instantanément licenciés, sans aucune faute de leur part, dans le monde entier.

Et quelles sont celles de Volkswagen? Sur un site en français, on lit:

-la Qualité (la recherche permanente de la qualité nous conduit à viser sans relâche la perfection dans les moindres détails, à concevoir des véhicules d’une finition irréprochable, tout à la fois fiables, performants et respectueux de l’environnement)

-l’Innovation (la volonté d’innover implique d’imaginer sans relâche des solutions technologiquement avancées, de travailler pour limiter la consommation des véhicules et réduire les émissions polluantes)

Promouvoir de belles valeurs – bien raisonnables – sans les mettre en pratique chaque jour et dans chaque décision est un pitoyable et dangereux mensonge. Souvent inventées par ceux qui ne descendent jamais dans les ateliers ni dans les bureaux où pourtant se crée la vraie valeur ajoutée (les consultants excellent dans cette pratique d’ignorance), elles constituent en fait un affichage grossier ou puéril de bonnes intentions, lesquelles, on le sait, pavent nos enfers.

Quelle naïveté et quel mépris pour nos collaborateurs peuvent nous amener à croire que formuler ainsi des vœux pieux, concrètement déniés en actes, aidera à les motiver, à renforcer leur engagement et à stimuler leur invention?

Allons plus loin: quel besoin avons-nous d’exalter une valeur, si nous en vivons déjà et si nous l’incarnons dans notre travail? Son affichage n’est-il pas, de facto, l’aveu de sa carence flagrante? Si j’entreprends de promouvoir l’éthique ou la confiance, n’est-ce pas d’abord parce que j’en manque?

Depuis longtemps, des marchands d’illusions managériales vendent un leadership «inspirationnel», fondé sur des valeurs d’intentions – uniquement – qu’ils imposent d’afficher, toutes proprettes et bien rationnelles. C’est ainsi que la raisonance délétère prolifère de campus en entreprise.

Nos vraies valeurs personnelles sont le plus souvent inconscientes. Très discrètes, mais sans cesse actives, elles nous animent. La moindre agression contre l’une d’elle crée de la souffrance, du conflit ou du découragement.

Toute vraie motivation commence donc par le respect intégral de nos valeurs individuelles. C’est alors que, solidement établis dans ces valeurs intimes, en résonance positive, nous pouvons ensemble agréger d’authentiques valeurs et en vivre, pour le bénéfice de nos équipes, au sein de nos entreprises.

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