Quand le silence devient complice

En juin dernier, j’ai publié un témoignage personnel sur LinkedIn: une expérience de harcèlement au travail confrontée à l’indifférence de l’environnement professionnel. En quelques jours, le post a suscité plus de 23’000 vues, 320 réactions, 50 commentaires.

Ce chiffre seul ne dit pas tout, mais il révèle quelque chose d’essentiel: le besoin urgent de parler de ce qui reste souvent invisible, ignoré ou minimisé. Il montre surtout que le silence des témoins – et parfois des structures – est plus courant qu’on ne l’admet.

Derrière cette vague de réactions se dessine une question centrale: que peuvent faire les entreprises, les RH et les dirigeants pour ne pas devenir complices involontaires de situations de harcèlement?

Un phénomène pas seulement individuel

On a souvent tendance à ramener le harcèlement à une relation binaire entre un auteur et une victime. Cette approche, bien qu’importante, est insuffisante. Car le harcèlement s’enracine aussi dans un système: un cadre flou, un manque de régulation, des signaux ignorés.

En Suisse, près d’un salarié sur trois déclare avoir été témoin ou victime de comportements abusifs ou dénigrants au travail. Les risques psychosociaux (RPS), dont le harcèlement fait partie, sont responsables de plus de 1,6 million de jours d’absence par an, générant près d’un milliard de francs de coûts directs et indirects pour les entreprises.

Et pourtant, selon diverses études, près de la moitié des collaborateurs ne savent pas vers qui se tourner en interne lorsqu’ils sont en difficulté. Cela en dit long sur la solitude vécue par les personnes concernées… et sur les failles de prévention existantes.

Le silence des témoins, facteur aggravant

«Beaucoup ont vu. Beaucoup ont su. Mais personne n’a rien dit.» Ce constat, issu de mon témoignage, n’est pas exceptionnel. Il est malheureusement courant.

La peur, la loyauté, la lassitude ou simplement l’incertitude sur la marche à suivre créent un environnement propice au déni collectif. Selon le Workplace Bullying Institute, 49% des salariés ont déjà subi ou observé des comportements hostiles, mais seulement la moitié en parlent. Le silence devient alors un terrain fertile pour que le harcèlement s’installe durablement.

Rôle clé des RH et dirigeants

Les services RH sont en première ligne. Ils doivent écouter, trancher, protéger… parfois sans être eux-mêmes suffisamment formés ou soutenus. Ils sont aussi pris dans des tensions: entre confidentialité et action, entre image de l’entreprise et gestion de crise.

Pour sortir de cette impasse, une action structurée s’impose. Voici quatre leviers concrets:

  1. Former les acteurs relais (managers, personnes de confiance, collaborateurs identifiés) à la détection des signaux faibles.
  2. Clarifier les responsabilités internes, pour que chaque acteur sache comment réagir, à quel moment, et avec quels outils.
  3. Créer des espaces d’expression tiers et sécurisés: médiation, cellules externes, consultation indépendante.
  4. Mesurer, suivre, ajuster: à travers des indicateurs RH, des retours d’expérience et un pilotage régulier.

Un impact bien au-delà du lieu de travail

Les conséquences du harcèlement dépassent largement les murs de l’entreprise. Entre 72 % et 80 % des salariés rapportent un impact du stress professionnel sur leur vie personnelle. La violence chronique au travail est liée à des troubles anxieux, à un absentéisme accru, voire à des ruptures professionnelles durables. Et les témoins eux-mêmes sont affectés: 76 % disent ressentir du stress important lorsqu’ils évoluent dans un climat toxique.

Au final, le système souffre, les personnes s’épuisent, et la performance se détériore.

De l’émotion à l’action

Le retentissement d’un simple témoignage sur les réseaux montre une chose: les entreprises ne peuvent plus ignorer ces signaux. Elles ont la capacité – et la responsabilité – d’agir.

Pour cela, trois étapes sont déterminantes:

  1. Auditer les signaux faibles: sondages anonymes, entretiens, groupes de discussion.
  2. Déployer un plan de prévention clair, incluant communication interne, formation, posture managériale adaptée.
  3. Mettre en place un accompagnement humain et pérenne: dispositif de personne de confiance, médiation interne ou externe, cellule de régulation.

Oser une culture de la prévention responsable

Prévenir le harcèlement ne se limite pas à réagir en cas de crise. Cela implique de construire un environnement où la parole est possible, où la souffrance est identifiée à temps, et où chacun sait qu’il ne sera pas seul face à ce qu’il traverse.

La prévention n’est pas un luxe. C’est un marqueur de maturité organisationnelle. Il ne s’agit pas seulement d’outils. Il s’agit d’une posture, d’un engagement, et d’un choix collectif: celui de ne plus fermer les yeux.

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