Aimer son travail donne du «cœur à l’ouvrage»! Belle image montrant, dans le langage courant, l’importance affective du cœur: par lui s’expriment nos sentiments et en lui se trouve ce que nous chérissons au fond de nous. De même, «ça me tient à cœur» sert à souligner combien quelque chose est important pour nous. Le cœur symbolise aussi la vie, cet organe vital se met en route très tôt dans le ventre de la mère et «travaille» sans s’arrêter jusqu’à la mort.
Mais, comme le montre bien un récent article de Célina Ovadia dans «l’Evénement Syndical», nous n’en prenons pas assez soin. De nombreux métiers le surchargent physiquement et psychiquement. Sur les chantiers, dans les soins, dans l’enseignement, dans la vente, pour ne citer que ces exemples, le stress, les horaires à rallonge, le manque de temps et de moyens, les risques d’accidents et de maladies, sont autant de facteurs qui agissent sur le système cardiovasculaire et peuvent conduire à une usure prématurée de cet organe. Les données épidémiologiques, rassemblées ces dernières années par l’OMS, l’OIT et d’autres centres de recherche, confirment que les risques cardio-vasculaires sont à l’origine de très nombreux décès et occupent une place prépondérante dans les causes de la mortalité en lien avec le travail, mortalité qui est très largement supérieure à celle due aux accidents du travail. Le surmenage et les longues heures de travail peuvent conduire à des morts subites, tel le «karoshi» (décès par overdose de travail) au Japon, mais aussi à des maladies cardiovasculaires (MCV) de diverses natures (AVC, cardiopathie ischémique, attaque, etc.). Les risques psychosociaux (stress, burnout, etc.) affectent aussi le cœur de manière significative.
Déni ou méconnaissance de la réalité?
Cependant, les dispositifs visant à évaluer les risques des conditions de travail pour la santé sont rares. En France, les médecins du travail et de prévention ont mis en place des enquêtes périodiques de Surveillance Médicale des Expositions des salarié.e.s aux Risques professionnels (SUMER) pour cartographier les risques et orienter ainsi la prévention vers les priorités. Hélas, les MCV y sont peu répertoriées. En Suisse, il n’y a aucun observatoire ou baromètre des maladies liées au travail, elles sont donc invisibles, oubliées, ignorées… et ne peuvent donc être ni évaluées ni prévenues… Au niveau européen, l’agence de l’Union européenne chargée de l’Amélioration des Conditions de Vie et de Travail (Eurofound), dans ses enquêtes périodiques, n’apporte pas non plus de données claires sur les MCV en lien avec le stress, le surmenage et les autres facteurs de pénibilité. L’origine multifactorielle de ces maladies et l’extrême complexité pour les mettre en relation avec les conditions de travail (il est tellement plus simple d’attribuer ces maladies au mode de vie des individus: tabac, alcool, manque d’exercice physique etc.) explique en partie leur invisibilité.
Ce très sérieux problème de santé publique n’est jamais évoqué par les responsables politiques, les décideurs et les acteurs de la santé. S’agit-il d’une méconnaissance de la réalité ou d’une apparente indifférence cachant un déni, pour ne pas aborder un problème délicat? Or, ces maladies entraînent une charge économique considérable sur les entreprises, des conséquences importantes sur la santé des individus, des souffrances inutiles et des injustices sociales croissantes (les métiers les plus pénibles étant souvent les moins bien rétribués). Dans ce silence assourdissant il serait bon que se fassent mieux entendre les professionnels de la santé au travail et tous les acteurs de la santé, eux qui sont aux premières loges pour savoir combien le cœur peut être malmené par le travail.
Mais n’oublions pas non plus la réelle responsabilité des décideurs et des partenaires sociaux… Quand reconnaîtront-ils qu’ils doivent avoir «à cœur» d’apporter des solutions?
1 comment for “Et si on remettait le cœur… au cœur de la Santé au Travail?”