Voilà la remarque faite par le très jeune fils d’une amie, professionnelle de la santé au travail, en voyant un travailleur sur un chantier par une très grande chaleur, alors qu’il sait que son papa gagne beaucoup d’argent et se trouve dans un bureau climatisé – nous sommes au Brésil!
Selon Michael Sandel, célèbre enseignant à l’Université de Harvard, dans une interview donnée à «L’Express», le marché actuel ne récompense pas l’énergie investie dans le travail, car «si tel était le cas, ceux qui travaillent le plus dur dans les emplois les plus difficiles obtiendraient les meilleurs salaires.»
Dans sa réflexion sur la «tyrannie du mérite», il démontre que le fossé entre les gagnants (bien payés) et les perdants s’est creusé, à cause des inégalités sociales qui s’accroissent mais aussi d’un changement d’attitude face à la réussite. Les gagnants pensent que leur réussite est due à leurs seules capacités, ce qui est à fortement relativiser: «(…) l’apport social d’un individu qui s’engage dans le commerce des produits dérivés ou la finance spéculative [a-t-il vraiment] 800 fois plus de prix pour la société que la contribution d’un soignant ou d’un enseignant?»
De même, pour l’Observatoire de la Compétence Métier, en France: «La hiérarchie des métiers est bien souvent dissociée de celle des bénéfices qu’ils rendent à la société» étant même parfois inversement proportionnelle à leur utilité sociale. La pandémie a provoqué une brusque prise de conscience de la forte valeur sociale ajoutée de métiers jusque-là, non considérés comme «essentiels». Ainsi, auxiliaires de vie, agents de nettoyage, éboueurs, femmes de ménage, caissières, livreurs, etc. se sont sentis tout d’un coup reconnus et même – pour certaines catégories, tel le personnel soignant – encensés. Le gouvernement s’est vu contraint d’engager certaines mesures de rattrapage salarial.
Mais cette passagère prise de conscience peut ne pas avoir de répercussions durables tant il est ancré dans notre culture que les métiers ne nécessitant pas de diplôme ou les activités quotidiennes telles les tâches ménagères sont d’importance mineure et «invisibles», malgré leur pénibilité, les souffrances physiques et morales qu’elles engendrent, alors qu’ils sont indispensables.
Ce phénomène se retrouve même dans des professions mieux considérées, par exemple médicales: en effet, dans une société privilégiant le geste technique, les disciplines chirurgicales sont valorisées et leurs spécialistes perçoivent des revenus considérables sans commune mesure avec ceux des généralistes, «parents pauvres» de ce domaine. Or, ils sont essentiels au système de santé d’une région ou d’un pays, assurant un travail relationnel et humain très précieux, avec leurs patients.
Comment redonner la dignité qu’ils méritent à ces métiers dévalorisés? Il s’agit d’un enjeu moral et politique vers un «assainissement» culturel de notre société où le «bien commun» trouve une place centrale et où la «valeur ajoutée» de ces professions s’évalue en termes de contribution à la santé et au bien-être des individus et de la communauté.
Parmi les mesures à prendre pour ces professions «invisibles»: amélioration des salaires, formation technique et professionnelle, et reconnaissance… Dans ce contexte, les professionnels de la Santé au Travail ayant scientifiquement documenté depuis longtemps la pénibilité, la souffrance au travail, mais aussi la qualité de vie et le bien-être, offrent un ensemble de connaissances validant cet assainissement.
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