Perversion ou toxicité?

Sujet à la mode et trop souvent récurrent, maltraité par nombre d’auteurs ou de journalistes, la perversion – qu’on disait jadis polymorphe et désormais narcissique – ne se distingue plus assez nettement, dans le monde du travail, d’une plus bénigne ou maligne toxicité. La différence entre ces deux graves dysfonctionnements est pourtant radicale, non pas – hélas – par l’effet sur leurs victimes, mais de part leur essence.

L’authentique pervers en entreprise s’identifie par les comportements suivants:

La préméditation: avant de commencer à faire souffrir ses collaborateurs, ses collègues ou ses supérieurs, le pervers construit son impunité avec habileté: il s’assure la protection d’un ou plusieurs dirigeants, en contrepartie d’une prétendue loyauté, ou choisit, quand c’est possible, un statut qui le protège.

La victimisation: il se présente à tous (mais prioritairement à ses protecteurs) comme une victime, incomprise des autres, sujette à la calomnie de ses pairs, souffrant de l »incompétence de ses subordonnés, etc. Il stimule ainsi, pour les ancrer profondément, les désirs bienveillants et l’engagement protecteur de ceux dont il va se servir pour ensuite manipuler ses proies.

L’instrumentalisation: c’est en permanence qu’il utilise – à tout propos, à l’encontre de toute éventuelle opposition à ses manœuvres et contre tous – cette prétendue protection (objectant aussi d’édifiantes intentions supérieures), transformant ses partisans en involontaires et inconscients complices de ses agissements destructeurs.

L’inversion: le pervers prend plaisir dans son contraire : le caractère le plus pathétique de son inhumanité est qu’il aime voir ou faire souffrir les autres. Ses agressions sont physiques parfois, psychiques le plus souvent. Il blesse ses victimes par des humiliations, les contraignant à vivre des émotions négatives de toutes formes: peurs, haines, dégoûts, désespoirs. Symétriquement, le bonheur, le plaisir ou les succès des autres lui sont insupportables.

La suppliciation: ne voulant pas que ses victimes lui échappent, il les maintient dans une souffrance continue, à la limite de leurs tolérances mais redevient séducteur, affectant douceur et bienveillance, dès qu’il redoute que ses proies s’éloignent. Contrairement aux équipes d’un manager toxique, les siennes n’ont qu’un faible turnover, alors que la souffrance y est bien plus aigüe et que des records d’absentéisme s’y observent.

La division: le pervers baigne dans un océan de conflits interpersonnels mais jamais n’entreprendra de se réconcilier avec quiconque ni de réconcilier d’autres entre eux.

Le déni: ses intentions sont pures, ses actes, irréprochables, ses décisions, fondées, ses relations, empruntes d’humanité. La faute, quelle qu’elle soit, est toujours celle d’un autre.

Contrairement à la toxicité, maladresse managériale qui se montre rémissible avec un bon accompagnement, l’aliénation éthique du pervers, habituellement renforcée d’une pathologique inaptitude à la compassion et d’une paranoïa plus ou moins grave, est, à ma connaissance, incurable sans un traitement psychiatrique adapté.

2 comments for “Perversion ou toxicité?

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