«Parce que j’aime les gens …»

Le recruteur: «Pourquoi voulez-vous faire des Ressources Humaines?» Le candidat: «Parce que j’aime les gens, ils sont la part la plus importante de l’entreprise.»

Cet échange est un classique des recrutements HR. Pour beaucoup, il est normal. Pourtant, ce petit dialogue est dangereux. En quelques secondes, il vient d’étouffer dans l’œuf la nature même de ce que devrait être la fonction RH.

Commençons par l’affirmation «j’aime les gens». Elle est bien orgueilleuse, cachant trop peu une façon de dire «il y a moi, et il y a les autres». En s’accaparant la dimension «humaine», la fonction RH a malheureusement atteint un objectif opposé. Elle a «déshumanisé» les autres fonctions, au risque de les voir ignorer leur responsabilité dans le pilotage des relations humaines.

Ensuite, en se «marketant» de la sorte, le RRH entretient une confusion malsaine, rendant opaque son vrai rôle. Trop d’employés le voient soit comme un sauveur, soit comme un bourreau. Or il n’est ni l’un, ni l’autre.

Pire. Cette affirmation sert la logique de l’entreprise, qui adore ranger les rôles dans de jolies boîtes: finance = financier, ventes = vendeur et gestion des humains = le responsable RH. Oups, là on vient de se tirer – au mieux – une balle dans le pied. Parce que les managers, ceux qui sont au contact quotidien avec leurs équipes, sont maintenant paumés.

L’histoire ne s’arrête pas là. Forts de cette acception, les RH montent au créneau, armés de bons sentiments et équipés de process, d’outils et de systèmes. Et là, rien ne vous choque?

La meilleure réponse que nous trouvions pour exister, c’est donc un langage abscond, des processus trop souvent complexes et inutiles, ou des systèmes mécaniques et déshumanisés. C’est alors qu’on se rend compte qu’un truc cloche. Tous nos efforts ne portent pas leurs fruits. Pourquoi donc?

En fait nous avons affirmé que «l’individu est la part la plus importante de l’entreprise» sans nous y confronter vraiment. Trop peu d’entre nous ont managé, trop peu ont appris l’entreprise ailleurs que dans le cocon douillet des RH, trop peu d’enseignants RH ont vraiment mis les pieds dans une entreprise. «J’aime les gens, OK, mais pas au point de les manager…»

Après, on se pose constamment la question de notre rôle. Au commencement il y a notre nom. Il est idiot. A nous de vivre avec ce fardeau sans jamais l’accepter comme tel. Notre rôle est bien plus complexe que celui que nous avons endossé à tort.

Revenons donc au dialogue initial: «Pourquoi vouloir faire des ressources humaines?» D’abord parce que j’aime influencer ceux qui impactent les choix humains de l’organisation et que je veux peser sur les systèmes de gouvernance de l’entreprise.

Pour cela, je veux jouer un rôle politique au sein des équipes de management, où qu’elles soient. La stratégie RH est une illusion. Seule la stratégie d’entreprise compte. Il faut y prendre notre place. La finance l’a fait. Et nous?

Tout est donc une question de pouvoir. Sommes-nous prêts à l’accepter? Cependant, si nous ne sommes pas invités au dîner, c’est que nous sommes au menu. A cause de notre positionnement en recul nous nous sommes retrouvés trop souvent inscrits dessus. Coincés par ce positionnement, nous avons accepté les dérives de certaines organisations, leur déshumanisation et leurs méthodes de management mécaniques.

Et, insulte suprême, certains nous voient finalement comme une fonction de process. Parce que nous n’avons pas compris que pour atteindre notre «fin», il faut d’abord avoir les moyens. Et ça, ça s’appelle le jeu du pouvoir.

«Pourquoi voulez-vous faire des Ressources Humaines?» « Parce que je veux rejoindre une fonction politiquement puissante, qui a le pouvoir d’influencer la culture et la stratégie de l’entreprise en impactant directement la façon dont chaque employé contribue à sa valeur, maintenant et pour le futur.»

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