Le leadership introuvable?

Sans doute avez-vous, tout comme moi, voulu y croire un jour, de toute votre énergie positive. Peut-être avez-vous été aussi enthousiasmé que je le fus, la toute première fois que vous en avez entendu parler. Ne serait-il pas tellement simple en effet, si pratique, si élégant et si merveilleux d’aller puiser à sa source la panacée, l’élixir systémique, l’universelle solution à toute situation?

Importées massivement des USA (sans plus de discernement que la tortue tueuse de Floride, l’écrevisse américaine, le frêne puant – c’est son nom – ou l’ambroisie allergène), les théories du leadership, invariablement positives et toujours flanquées d’anodines apparences, nous ont subrepticement submergés, éradiquant au passage nos solides traditions managériales, étouffant nos plus belles valeurs humaines et sociales au nom de l’Ebitda, stérilisant finalement, dès les premières pousses, toute initiative alternative.

Affublé d’autant d’adjectifs – dits «styles» – qu’il est possible pour essayer de masquer son incurable vacuité conceptuelle, le leadership s’impose désormais de l’école à l’entreprise, sans que personne ne sache vraiment le définir. Charismatique, réflexif ou transformationnel, inspirant, coachant ou démocratique, participatif, bienveillant, complaisant ou évitant, autocratique, contrôlant ou méfiant: cette pathétique logorrhée descriptive s’accompagne toujours de l’invraisemblable liste des innombrables qualités qu’un apprenti leader se doit d’avoir ou d’acquérir.

Qu’est-ce donc que ce leadership fantôme, artificiel ou transgénique, qui obnubile les penseurs et les fait accoucher de théories lunaires? Qu’en est-il de ce leadership polymorphe ou de synthèse, qui, depuis son invention, progresse en entreprise corrélativement à la souffrance psychique au travail, sur tous les continents qu’il contamine?

A de trop rares mais notables exceptions (par exemple Vineet Nayar, Robert K. Greenleaf ou encore Henry Fayol), les marabouts du leadership naissent, grandissent et prospèrent dans les universités, là où on pense mais où personne jamais ne manage. D’autres, tels des magiciens, s’inventent consultants permanents, sans jamais s’essayer à la sanction du réel.

Peut-être est-ce la principale cause des échecs de ces leaderships, de plus en plus patents à mesure que s’en étend la pandémie: confondre de belles pensées – trop souvent d’emprunt –, bien rationnelles et toutes pleines de bonnes intentions comme de principes flatteurs, avec la réalité des choses, la vérité des êtres et la preuve par l’action.

Plus dommageable encore que cette pragmatique inconsistance, les Monsanto du leadership s’en servent d’alibi pour imposer un cruel et toxique darwinisme économique. Son démoniaque principe s’habille d’une angélique apparence: seuls les meilleurs produisent un maximum de richesses! Concentrons-les donc et pour éradiquer les faibles, implantons sans limite cet eugénisme productif, à grand renfort de programmes «Hipo» – pour high potential – et de cruels écrémages systématiques à la Jack Welsch!

Aux antipodes cependant de ces croyances mortifères, détruisant richesses et personnes, d’authentiques leaders montrent une influence qui résonne à travers le temps et l’espace. Comment croyez-vous que Mandela ou bien Gandhi transformèrent notre monde? Quels diplômes, quelles compétences, quelles forces, quels savoirs, quelles méthodes, quelles expertises, quelles rares qualités fondèrent leurs actions? Alexandre ou encore Napoléon menèrent leurs troupes où personne jamais n’aurait pu les contraindre d’aller. Comment s’y prirent-ils?

Fort de sa connaissance de l’universelle imperfection humaine, Bonaparte donne la clé de l’Art vrai d’entraîner, lorsqu’il écrit: «L’art le plus difficile n’est pas de choisir les hommes, mais de donner aux hommes qu’on a choisis toute la valeur qu’ils peuvent avoir.» Cette véritable capacité d’entraînement des autres, que le leadership s’essaie à approcher, ne serait-elle donc pas constituée premièrement d’une merveilleuse faculté, celle de faire grandir l’autre, en ce qu’il est en lui-même et non pas en ce qu’on voudrait qu’il soit?

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