Le Gentle Management ou la gouvernance élégante

La recherche croissante de la bienveillance et du bien-être au travail pourrait suggérer que notre monde du travail salarié est massivement victime d’un management volontairement malveillant. Des charlatans en profitent pour proliférer et proposent, sous d’anodines apparences, les plus inutiles extravagances ou les plus dangereux maraboutages.

On voit des managers pousser des cris d’animaux la nuit dans les bois ou marcher sur des braises pour développer un leadership d’obligation. D’autres méditent pour transcender leurs objectifs, sautent d’un pont ou entreprennent des stages commandos pour s’aguerrir avant de regagner l’arène économique. Des utopies, comme l’holacratie, proposent d’immoler management et managers, boucs émissaires désignés, pour qu’enfin les salariés s’organisent entre eux, selon leur native intelligence collaborative.

Si nos entreprises ou nos équipes dysfonctionnent, si des conflits y apparaissent, détruisant toute valeur et créant de la souffrance, ce n’est pas par sadisme planifié, mais par maladresse. Concrètement, un virus néfaste, né d’une croyance simpliste, a contaminé notre pensée comme nos organisations.

Sur la base d’une étude sommaire du comportement de fonctionnaires anglais, un professeur d’histoire et essayiste, Cyril N. Parkinson, énonça en 1958 l’axiome suivant: «Tout travail tend à se dilater pour occuper tout le temps disponible pour son achèvement.» (1) Pour compenser les effets de cette prétendue «loi» parkinsonienne, il est donc judicieux, légitime et même vertueux d’exiger toujours plus, par principe, de ses subordonnés, en toujours moins de temps.

L’axiome de ce mis-management est d’accumuler sans limite les exigences, en vue d’obtenir une performance minimale. Au fil de cette croyance pandémique, les objectifs à court terme enflent, les to-do-lists s’allongent, les courriels deviennent péremptoires, les comportements se durcissent et le temps manque toujours davantage… pour vraiment penser et utilement créer.

Et si, bien que séduisante, l’observation de Parkinson (sans doute vraie pour des fonctionnaires anglais d’un autre âge) nous faisait prendre un symptôme pour un théorème? Une démotivation localisée pour une universelle fatalité? Une vessie pour une lanterne?

Extrapolée à l’entreprise productive, cette observation drolatique s’est transformée en une véritable toxine. Pollués par cette croyance, dirigeants, managers et salariés s’affolent désormais eux-mêmes d’agendas impossibles et s’épuisent en travaux herculéens. Pour prouver qu’ils en font toujours plus, en toujours moins de temps. On assiste même parfois à une forme d’idiocratie managériale, qui consiste à exiger de ses subordonnées des choses inutiles, pour les maintenir occupés ou sous pression.

Les neuro-sciences cependant en attestent avec force et constance: toute notre intelligence agit toujours pour nous permettre d’obtenir le meilleur résultat possible, en dépensant le moins d’énergie possible. C’est le principe d’élégance, valable pour chaque action ou toute pensée. Un travailleur bien motivé, libre d’utiliser son intelligence, se saisira spontanément au mieux de chacune de ses tâches, pour les achever au plus vite.

La «loi» parkinsonienne, qui ignore cette élégance, nous ment. Aucun progrès en effet n’est jamais advenu sans la mise en œuvre de ce principe d’élégance: c’est lui qui nous fait capter et saisir toute force ou énergie, pour la rendre motrice ou conductrice, qui nous fait inventer et créer. Ce pour notre bénéfice, afin d’économiser toujours davantage notre précieuse énergie personnelle.

Seule cette élégance, par essence écologique, permet la création de richesses durables. Retrouvons donc au plus vite notre vraie nature. Redevenons élégants, réapprenons à motiver nos collaborateurs en stimulant cette principale intelligence humaine. Nous inventerons alors, simplement, efficacement, la gouvernance et le management du futur.

(1) Traduction de « Work expands to fill the time available for its completion ». De Cyril Northcote Parkinson, in Parkinson’s Law or The Pursuit of Progress, 1957.

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