La guerre des coûts

On peut y reconnaître un vrai cuisinier ou une bonne cuisinière: ils savent accommoder les restes, cultivent l’art de faire beaucoup avec peu et montrent un grand talent pour soigner la présentation de leurs plats. Une forme de génie les anime et les méthodes qu’ils utilisent se caractérisent par une intelligente économie de moyen, une authentique élégance: le moins d’efforts (ou d’effets) possibles pour obtenir le meilleur résultat possible.

Qu’en est-il de la très mauvaise soupe managériale, trop souvent servie en entreprise, à base de cost-killing ou de down-sizing (je suppose que ces processus sont plus efficaces en anglais qu’en français)? Il s’agit sans doute d’une première intention de bon sens: créer le plus de valeur ajoutée possible tout en consommant le moins d’énergie semble vertueux.

Dans de nombreuses organisations cependant, on observe d’étonnantes perversions de cette bonne intention. La plus insidieuse est aussi la plus fréquente: initiée par les équipes non-productives de valeurs ajoutées mesurables (gestionnaires financiers, auditeurs et contrôleurs fanatisés idolâtres des budgets, de normes ou des process…), la chasse aux coûts peut transformer ces derniers en ayatollahs du bottom line, persécuteurs du moindre centime, étouffeurs de chaque initiative.

C’est une vérité de bon sens: l’entreprise n’existe pas pour faire des économies mais pour créer de la valeur ajoutée. Si l’économie de moyen – que j’aime appeler l’élégance – est raisonnable, ses excès hélas sont redoutablement destructeurs de richesses. S’il semble juste et bon d’éliminer gaspillage ou gabegie, une excessive ou permanente pression sur les coûts devient concrètement et dramatiquement contreproductive.

Notre psychisme se structure en effet pour notre croissance (apprentissage, connaissance, découverte, vie spirituelle, famille et vie sociale) et pour notre plus grande liberté (d’être celui ou celle que je suis vraiment). S’il travaille naturellement à obtenir toujours plus de résultats avec le moins d’énergie possible, la violence d’une contrainte constante pour opérer une décroissance forcée l’épuise gravement, asséchant sa créativité, en dehors de tout contrôle conscient.

Les conducteurs comprendront: on ne peut sans dommage accélérer et freiner en même temps. L’exigence du toujours plus (les fameux objectifs) avec l’obligation du toujours moins (la guerre des coûts) fabrique exactement l’opposé de sa justification. Au lieu de créer de la richesse, cette idiocratie managériale constitue la matrice perverse d’innombrables coûts cachés. Consignes pléthoriques, pandémies d’emails, meetings sans fin, consultances prohibitives, sabotages passifs ou actifs, surmenages, fatigues psychiques, écoeurements, inerties, temps perdu, résistances au changements, présentéismes ou absentéismes, conflits inavoués ou guerres de tranchées s’y engendrent, devenant sur-vitaminés et flambant au premier assaut des cost-killers.

La guerre des coûts, qui a bien lieu, est un puissant et obscur destructeur de richesse, premier fabriquant des coûts cachés.

2 comments for “La guerre des coûts

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