La biendisance

Son contraire, la médisance, semble parfois être considérée comme anodine, et son immiscion subreptice lors d’échanges persiflants, inoffensive. Elle peut privilégier la mimique, le rictus ou le geste. Mais c’est dans la parole qu’elle trouve son principal assouvissement.

Certains prétendent alors qu’elle libère, évacuant par verbalisation – comme on tire une chasse d’eau – nos toxines intimes accumulées, nos frustrations secrètes et nos inavouables jalousies. Elle s’affuble parfois d’une posture d’affranchie, militante libertaire des anticonformismes. Finalement, elle affirme n’être jamais calomnie, se fardant – ou du moins s’y essayant – d’esprit de justice, libre et courageusement véridique.

Ma main d’enfant enserrée dans la sienne, découvrant avec lui en de longues randonnées silencieuses les secrets des ruelles, le charme des parcs et la magie des quais de ma ville natale, mon grand-père m’initia à la puissance de la biendisance. Il me prémunit ainsi contre celles et ceux qui ont si peu de respect pour eux-mêmes et pour les autres qu’ils se laissent aller à médire. Voire à maudire. Homme de peu de mots mais d’une grande hauteur morale, c’est par mimétisme et tout en douceur qu’il m’apprit à me défendre de ce mal.

Je ne fus pas toujours un bon disciple, mais une bonne graine avait été semée. L’expérience renforça peu à peu l’enseignement d’exemplarité de mon grand-père: j’ai appris à mes dépens que je ne peux pas faire confiance à celle ou celui qui médit d’un autre devant moi – et bien sûr, moins encore à qui médit de moi!

Pourquoi donc médire? Si ce n’est pour contaminer l’autre de mes intoxications intestines? Si ce n’est, comme pendant le sommeil d’Hamlet, pour me glisser un poison létal dans l’oreille? Si ce n’est, en faussant mes perceptions et en émoussant la pointe de mon intelligence – mon discernement – pour me manipuler?

Car c’est bien là mon objectif premier lors que je médis: emmener l’autre avec moi du côté obscur, où siègent les émotions négatives, la non-pensée et les condamnations arbitraires. Dans les eaux troubles d’une inhumanité où déjà je suis en train de me noyer moi-même…

Nos organisations sont devenues les arènes où, pour un bien très hypothétique, se déchaîne un mal objectif: l’art pervers de médire. Dire du mal y est parfois comme une forme de sport, l’attribut d’un grade, une fausse élégance qu’on promène de séances en meeting, une coquetterie à la boutonnière, portée de «feed-back» en «recadrage». On craint le médisant: chargé de sa propre insanité, il contamine tout et blesse chacun irrémédiablement.

Mon propos ici n’est pas moral ni éthique: il est de simple bon sens. Car la bienveillance authentique ne se décrète pas, elle germe et grandit là où la médisance n’existe pas. Ou a été arrachée. Il en est de même pour la confiance, sa petite sœur sensible.

Être bienveillant, c’est vouloir le bien, c’est veiller au bien, c’est regarder d’abord le bien et c’est finalement ne dire que le bien.

4 comments for “La biendisance

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