Comment fabriquer un idiocrate?

L’idiocratie managériale est une pandémie moderne et galopante. Elle transforme de belles personnes pleines de bon sens en zombies hiérarchiques, aux emportements mécaniques, qui ne se nourrissent plus que de présentations powerpoint, de chiffres ou de ratios arrangés, d’injonctions délétères (toutes urgentissimes) et finalement d’inhumanité rationnelle autant que de bonnes intentions.

Hautement contagieuse, cette dépersonnalisation progressive ou brutale s’enracine dans plusieurs conditionnements aussi toxiques que pathogènes. Son coût réel, humain, social, économique et financier est simplement monstrueux.

La première infection s’opère lors de nos «éducations»: de la crèche au MBA, alors que se structurent nos neurones et que s’organise notre intelligence, nous apprenons la maussade routine des seuls succès solitaires. A l’exception notable de certains sports d’équipe, nous nous y formons, partout en occident, au triste individualisme de la réussite isolée.

Les occasions d’y développer une intelligence collaborative durable et structurée (en dépit de certaines pantomimes ou de simulacres, à base de jeux de rôles ou de business case artificiels) sont rarissimes. Cette intelligence-là constitue pourtant la clé de toute création pérenne de valeur ajoutée.

Une croyance pathogène catalyse ensuite cette primo-infection: est réputé intelligent celui qui sait répéter ce qu’enseigne le professeur; lequel jamais n’a entrepris ni managé mais se flatte de l’audacieuse expérience d’être fonctionnaire. Forts en thèmes dociles, sans assez de caractère, d’imagination ou d’esprit critique, mais au bénéfice de prix d’excellence, nos idiocrates devenus managers s’évertuent donc à jouer aux décideurs responsables, faisant grand étalage de théories apprises (pleines d’arguments étroits et de dénis de réalité). En même temps que s’insinue en eux un très pénible et inconscient sentiment d’imposture…

Dans ces organisations vitrifiées de rationalité froide et d’humanité morte, une contre-exemplarité létale et des croyances venimeuses généralisent la contamination virale. La compétition est prédatrice, la réussite se confond avec l’élimination de l’autre, la division devient le mode opératoire des instances de direction, le conflit est sacralisé, les fantasmes d’introuvables leaderships activent l’arsenal toxique du darwinisme social – l’élimination des «faibles» -, les algorithmes et les procédures castrent l’invention et l’action.

En un mot, pour nos idiocrates pathologiques, seul le système crée de la valeur ajoutée, seul le cost-killing invente la richesse, seuls l’ERP ou le consultant sont intelligents. Et leurs collaborateurs? De méprisables centres des coûts à éliminer! Car nos génies idiocrates vivent d’un théorème unique: étrangler les coûts permet de produire toujours plus et génère toute richesse!

Me permettez-vous un aveu? Je fus jadis un manager et un dirigeant idiocrate, avec les meilleures intentions. La réalité de mes échecs m’a déconditionné. L’humilité serait donc le salutaire antidote, contre toute idiocratie.

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